Nous sommes "pour" la vérité; mais si ce "pour", afin de nous conforter dans nos pensées et dans nos actes, s’adressait moins à la vérité qu’à nous-mêmes, détenteurs présumés de cette vérité?
Il vaudrait mieux, alors, dire : Nous sommes aux côtés de la vérité, comme on est tout près de ce à quoi l’on croit, sachant pertinemment que toute croyance n’est jamais que reconnaissance de soi, à travers ce qui donne un sens à la vie.
Une vérité comme justification d’une vie, en somme.
— Comment vois-tu la vérité?
— Comme la vérité me voit.
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Qui est juif ? — Celui, peut-être, qui, n’ayant jamais eu l’assurance de l’être, découvre, peu à peu, sa judaïcité dans cette probabilité.
Le judaïsme se conjugue au futur.
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Fertile oubli. Il nous pousse à sonder l’âme et l'esprit au nom de l’esprit et de l’âme. Il nous aide à creuser les diverses voies de la conscience; d'apprendre, de désapprendre, de prendre indistinctement à l’aurore et à la nuit ce qu'elles nous offrent; de journellement, enfin, nous créer.
Je ne suis pas. Je n’ai jamais été que celui que la vie m’a permis d’être.
Ainsi, J'existe, ayant été pétri par le meilleur et par le pire, par tout ce que j'ai aimé ou fui; par tout ce que j'ai acquis ou perdu; pétri par la seconde à la merci de la
seconde, dans l’écoulement d’une vie.
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Penser le silence c’est, en quelque sorte, l’ébruiter.
Le silence n’est pas faiblesse du langage.
Il est, tout au contraire, force.
La faiblesse de la parole est de l’ignorer.
— Quel est ton bien?
— Un souffle. Et il me voue à la mort.
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Il y a des livres qui «font du bruit» et d’autres qui imposent le silence.
Les premiers sont de tout petits riens, imbus de leurs sonorités ; les seconds, de tout petits riens irréductibles.
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La poésie pense à l’intérieur de la poésie; la pensée invite, autour d'elle, à penser. Lustre pendu au plafond ou phare balayant la mer, elles sont au centre de toute survenance.
Univers clos — profonde enclave — de nos croyances
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Le poète pense en poésie, dans l’exaltation que lui procure le poème; le penseur, dans l’inconfort où la poésie a
laissé sa pensée.
Edmond Jabès, Le livre du partage, 1987.